Roger Ferreri, psychiatre, s’exprime à l’occasion des États généraux contre la nuit sécuritaire à Villejuif : "Lorsque vous mettez un fou à l’isolement, ce n’est pas pour son bien" ( in journal Libération du 26/7/2010.
Recueilli par ERIC FAVEREAU, photoSTÉPHANE LAVOUÉ. MYOP
Roger Ferreri est une figure du milieu de la psychiatrie publique. Il est l’un des membres actifs des « 39 contre la nuit sécuritaire », un collectif de psychiatres et de soignants né en 2009 après les annonces de Nicolas Sarkozy sur la « sécurisation » des hôpitaux psychiatriques.
Les « 39 » organisent ce samedi leurs états généraux à Villejuif.
Que pensez-vous du fait qu’un juge puisse prendre des décisions de privation de liberté en psychiatrie pour éviter que le préfet ne s’en charge ?
Un certain nombre d’entre nous pense qu’il faut en débattre. Et une phrase résume cette position : pas de privation de liberté sans l’intervention d’un juge. D’abord, je constate que la privation de la liberté par la justice est quoi qu’on en dise toujours de l’ordre de la punition.
Le malade mérite-t-il d’être inclus dans ce modèle de la punition ?
Est-ce cela que l’on veut ? Surveiller et punir.
De plus, pour moi, la contrainte n’est pas un soin.
C’est toujours mieux que l’arbitraire d’une décision administrative…
Pas si sûr… Quand la décision est administrative et politique, je peux, moi, me battre contre ce pouvoir.
A l’inverse, que faire par rapport à une décision de justice ?
Le juge va renvoyer aux experts.
Comment se battre contre la vérité de l’expert ou de la justice ?
Avec le préfet, la divergence d’intérêts nécessaire entre l’acte de soins et la société peut s’exprimer.
Avec un juge, on ne peut pas.
C’est-à-dire ?
Avec le juge, on va vous dire que c’est objectivement pour le bien du malade.
On va dire que c’est la vérité de la Raison contrôlée par la vérité judiciaire.
Cela m’inquiète, car nous ne sommes pas loin d’un discours de bon colonialisme :
« Ces gens sont fous, il faut que l’on pense et décide à leur place. Et on va se débrouiller pour les protéger. »
En fait, on se protège, nous, mais on ne les protège pas.
Pour autant, je pense que la société a le droit de se protéger. Cela étant, lorsque vous mettez quelqu’un dans une chambre d’isolement, vous n’avez pas le droit de penser que c’est pour son bien, ou pour endiguer son morcellement psychotique. On le fait, parce que l’on ne sait pas quoi faire d’autre.
Mais peut-on s’en contenter ?
Il faut rester dans l’inquiétude, pas une inquiétude passive, bien au contraire une inquiétude qui engage l’acte du côté de l’implication des soignants et non pas du côté de l’effectivité du droit ou d’un bien-faire préétabli.
La folie représente pour nous ce que l’on ne peut pas partager. Michel Foucault disait que c’était le temps du partage, « du partage lui-même » que la folie ne
cessait de réinterroger et qu’il convenait de ne pas évacuer cette in- terrogation sous couvert des sciences de l’homme.
Mais les familles ont plus confiance en la justice…
Elles n’ont pas tout à fait tort quand on voit l’état actuel de la psychiatrie et les difficultés qu’elles rencontrent pour qu’un de leurs proches soit honorablement suivi.
La psychiatrie souffre d’un manque sensible de moyens, mais cela ne suffit pas pour expliquer la situation actuelle.
La psychiatrie souffre aussi et surtout d’un manque d’allant, d’une perte de savoir-faire, d’un désespoir qui est le reflet des angoisses de notre époque.
Bon nombre d’équipes se réfugient dans la plainte et le renoncement plutôt que de combattre avec protestation.
Certes, mais pourquoi des associations de familles, d’anciens psychiatrisés défendent-elles la judiciarisation et la proposition de soins sous contrainte en ambulatoire ?
Au moment de sa folie, la personne qui en souffre n’est pas un usager de la folie.
Nous sommes confrontés à une étrange casuistique où celui qui est touché dans sa proximité personnelle ou fraternelle propose une amélioration en vue de l’espoir de « guérison » qui deviendra disparition de la personne au nom de laquelle il s’est mobilisé.
Ce que je dis n’est pas une critique mais un simple avertissement, et on se doit de mettre au travail nos utiles divergences.
En revanche, les psychiatres qui se prononcent pour la contrainte aux soins en ambulatoire n’ont aucune excuse de cet ordre
.
Il faut toujours passer par le conflit, la tension.
Le pire, c’est quand tout s’éteint. Maintenir les tensions, c’est maintenir quelque chose qui se prête à discussion. Cette tension n’est pas faite pour être réglée, mais pour ouvrir des possibles.
Vous dites, aussi, que se focaliser sur ce débat de la loi est un débat écran ?
Le problème, aujourd’hui, avec ce que j’appelle le néolibéralisme, c’est l’isolement des personnes, les unes avec les autres.
Le néolibéralisme éclate, isole. Les derniers ré¬sistants à l’isolement, ce sont, peut-être, les fous.
C’est ce qui résiste à tout modèle. Les faire rentrer dans une norme, c’est cela la politique de Sarkozy.
C’est l’effet le plus destructeur de la situation actuelle. Aussi, l’important aujourd’hui n’est pas de parfaire le modèle de la contrainte, mais de mettre en place les conditions politiques et pratiques du dépérissement de son utilisation.
REPERES
« Quelle hospitalité pour la folie ? Pour une psychiatrie humaine, non à une loi de grand renfermement ! »
Ce samedi, toute la journée, à l’espace congrès les Esselières à Villejuif, le collectif des « 39 » contre la nuit sécuritaire tient meeting. Plus de mille personnes sont attendues.
« Vous savez fort bien […] que des patients dont l’état s’est stabilisé […] peuvent soudainement devenir dangereux. » Nicolas Sarkozy à l’hôpital d’Antony le 2 décembre 2OO8
SOINS SOUS CONTRAINTE
Le projet de loi présenté en Conseil des ministres ce printemps prévoit des soins ambulatoires sous contrainte. Aujourd’hui, les seules contraintes sont du ressort de l’hospitalisation.
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