Publié dans le Nouvel Observateur, dans la rubrique OPINION page 594.
En-tête de l’article : L’auteur des Ecrits parle rarement de cinéma. Le film de Benoît Jacquot, que Jean-Louis Bory analyse ci-dessus, lui a donné envie de le faire .
Ce que j’admire, c’est de ne même pas avoir envie de relire le récit dont ce film se fonde : un roman inachevé de Dostoïevski dont c’est de la lecture de Safouan que Benoit Jacquot a pris l’idée. Pourtant j’irais a l’historiette, que tout le monde sait : a savoir que Dostoïevski c’est de la petite fille qu’il se tracassait je passe sur ce la sans discussion, puisque pour lui c’est un fantasme et même érotique.
Erotique d’habitude en effet, le fantasme fonde le vraisemblable, l’apparentement a la vérité.
Benoit Jacquot ayant du talent en fait le vrai tout court.
Car c’est en cela que consiste le talent : faire mouche. Ou que ce soit : ici le cinéma.
Son coup d’essai se distingue d’être coup de maitre. Je n’ai pas besoin pour dire cela d’une compétence technique. (Je m’en remets pour cela à d’autres dont je ne manque pas).
Que je sois touché par ce film, je suis capable de le savoir. Moi, le vulgaire, je suis juge. Sans appel.
On dit qu’un art est fait pour plaire : c’est sa définition, mais ca ne suffit pas au cinéma :il y faut être convaincant. En quoi il relaie le drame. Ce pour quoi l’économie des moyens s’impose : des moyens de convaincre. Qu’on me pardonne de faire le critique (que je ne suis pas).
C’est comme public que je tranche sur les chipotages.
Benoit Jacquot a gagne. Ce qui ne se fait pas tout seul.
D’abord il a fait le scenario.
Et puis il a choisi d’autres personnes dont le nom se lit sur le générique du film : il a su les choisir.
Anna Karina allait de soi. Mais il y en a d’autres : Gunnar Larsen, Joël Bion qui joue le héros lui doivent quelque chose. Bien d’autres acteurs dont un certain chef d’orchestre que j’ai trouve inoubliable. Que me pardonnent ceux que je ne nomme pas.
Je ne veux que rendre compte du travail de Benoit Jacquot tel que je l’ai apprécié.
Il a trouve la petite fille qu’il fallait : a lui de révéler comment. Mais il me l’a dit. Il l’a trouvée convaincante pour lui, la meilleure façon d’opérer pour ce qui convaincra tout le monde – quand on est douée.
Il faut dire que quand on est une petite fille, on joue , sans se forcer, ce qu’on est fait pour jouer : la passion. Mais pour que ca passe, il faut être douée. Douée surdouée, cela nécessite une rencontre. Tout ca ne suffit pas à faire un film.
Comme composition de la musique et des images, je le tiens, ce film fait, pour un chef-d’œuvre.
D’abord le cadrage des prises de vues : formidable. Même quand ca dure. C’est même ca le plus formidable : ca dure juste le temps qu’il faut. Faites-en l’expérience. Je vais trahir quelque chose : y eut-il un acteur à lire son rôle, il n’y a que ma femme a s’en être aperçu. Elle en connait un bout.
Je donne là l’occasion d’une recherche. Mais c’est si convaincant que vous oublierez de la faire.
Pour la musique Haydn et Mozart sont là vivants. Mais c’est le cubage de tout et sa vigueur qui vous frapperont.
Pour le jaspinage, le style de l’œuvre impose qu’on parle d’argent de la bonne façon, des boutiquiers comme il convient. Occasion de voir que ce qui tourmente l’artiste c’est de devenir boutiquier. Au point que c’est mieux qu’il le rate : ce a quoi le héros réussit.
Mais Benoit Jacquot brouille si bien la trace qui serait suspecte de psychanalytisme que vous ne vous apercevrez pas que le héros est tordu de la.
C’est le comble du convaincant que de ne pas permettre l’interprétation.
Le musicien enfin n’assassine que lui-même : mais ca vous échappera. Comment Benoit Jacquot arrivera-t-il à ce que son film prochain tienne le coup de celui-ci, je me le demande.
J. L.
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