Premières élaborations sur la passe à l’École de la cause freudienne, en 1985, au titre du premier cartel de la passe, depuis la dissolution de l’École Freudienne de Paris.
« Tout est livré dans l’être humain à la fortune. »
Voilà ce quedéclarait Jacques Lacan à France-Culture en Juillet 73 (à télécharger sur le site).
Ainsi en est-il de la passe, pourrions-nous ajouter -que le sujet doit aller chercher dans son analyse car elle ne se produit pas automatiquement.
A mon sens, si nous ne sommes sans doute pas encore parvenus à faire d’autre invention que celle qui a présidé à l’institution de la passe, par contre la promesse faite par la reprise de cette expérience à savoir :
« Qu’elle implique une cumulation de l’expérience, son recueil et son élabora¬tion, une sériation de sa variété, une notation de ses degrés… ses résultats doivent être communiqués. » (Proposition d’Octobre 67)
Cette promesse est en partie tenue, même si nous ne sommes à l’ouvrage que depuis 1 an et 3 mois à peine.
Les témoignages existent, des élaborations sont venues, encore faudra-t’il un temps pour comprendre plus long que celui où nous livrons nos premières données pour tester leur pertinence, néanmoins dès à présent l’Ecole peut en juger.
Malgré quelques défauts dans l’organisation de nos soirées, la plus ennuyeuse, qui ne devrait pas se reproduire, ayant été d’exclure les intervenants ne faisant pas partie des cartels de la passe.
Tous ceux qui sont venus ici régulièrement ont été sensibles au changement de ton apparu dès lors que les cartels de la passe sont entrés dans le vif de leur affaire, l’expérience de la procédure étant engagée.
Pour ma part, je m’aperçois que ce que je peux dire de la passe tourne plutôt autour de ce qu’elle n’est pas que de ce qu’elle est vraiment. Sans doute de n’avoir rien su inventer à son sujet.
La passe existe.
Personne ici n’a invalidé son existence et puisqu’elle est une expérience reprise dans une école aux fins d’examen - Lacan est là-dessus sans ambiguïté - l’enjeu de sa conceptualisation dépassant de loin la visée de la nomination, j’aimerai faire quelques remarques préalables.
Il serait souhaitable, me semble-t-il, que nous puissions mieux situer l’entrée du passant dans sa cure, simplement pour saisir, par exemple, s’il s’agit des mêmes signifiants mis en jeu à sa sortie - ou encore de l’objet fût-il mal dégagé dont la perte irréparable ou le gain qui passe le plus souvent inaperçu peut l’avoir précipité à entreprendre une analyse.
On entend souvent dire dans l’École qu’il n’y a pas d’Histoire.
C’est en partie vrai à condition de ne pas commettre là une erreur de perspective :
déterminée par la structure certes, l’Hystoriole de chacun existe bel et bien, la dimension de la jouissance étant là pour rappeler son épaisseur dont on ne s’allège pas aussi facilement.
l’Hystoriole de chacun existe bel et bien.
A cet égard, si le fantasme fondamental est un axiome qui coordonne deux éléments hétérogènes : le sujet divisé par le signifiant et l’objet a produit comme chute du réel ($ <> a) , ce fantasme ne saurait être donné en une seule
phrase à la disposition entière du sujet, ou alors il s’agirait de savoir absolu, donc imaginaire - de même que ne peut pas être présentifié dans le creux de la main l’objet a qu’on l’ait trouvé ou qu’on le soit devenu.
Ne peut pas être présentifié, dans le creux de la main, l’objet a qu’on l’ait trouvé ou qu’on le soit devenu.
Aussi bien avant de croire nous avoir livré son fantasme fondamental tout cru, le passant pourrait être plus généreux sur ses variations, sur les fantaisies de sa pantomime.
On pourrait ainsi mieux apercevoir comment il s’est construit dans la cure.
Après tout, le passant pourrait bien traverser son fantasme ailleurs que là où il a cru bon de situer cette traversée.
La passe imaginarisée est trompeuse autant que ce que l’on néglige de dire dans la cure d’être tenu pour insignifiant, malgré la règle fondamentale.
On peut, il est vrai et pourquoi pas ? Vouloir faire la démonstration de sa passe autour d’une seule formation de l’inconscient, un rêve par exemple, il reste cependant qu’on n’a pas toujours eu la chance ou le malheur de rêver comme Irma ou des loups.
On sait que leurs illustres rêveurs n’en sont pas restés là, occupés qu’ils ont été toute leur vie durant par les implications réelles que comportaient pour eux d’avoir fait de tels rêves dans leur existence. A vrai dire, c’étaient des cauchemars.
Vouloir faire la démonstration de sa passe autour d’une seule formation de l’inconscient, un rêve par exemple, est un leurre.
Dans notre Ecole, nous avons innové. La procédure telle que nous en faisons l’expérience actuellement est le produit de son élaboration, elle l’est aussi d’avoir suivi pour cela les indications données par Lacan.
A parcourir tout ce s’est écrit sur la passe, on peut s’apercevoir qu’on a ici élucubré tout autant que ce qui se fait ailleurs, à ceci près cependant que nous avons eu le mérite de ne pas nous être tenus pour dispensés d’avoir encore à lire Lacan, ce qui a eu comme premier résultat la production d’un vrai travail d’école.
Ne pas nous être tenus pour dispensés d’avoir encore à lire Lacan.
C’est-à-dire qu’il y a entre les interventions des traits communs qui se répètent et insistent comme des questions articulées de points de vue différents.
Chacun reconnaîtra, je l’espère, ce qui vient de sa plume lorsque j’aurai à les évoquer dans la suite.
Les cartels de la passe, structure borroméenne, contre le hiérarchique ?
J’en viens maintenant aux cartels de la passe.
Un cartel, on finit quand même par savoir un peu ce que c’est :
4 se choisissent (même si pour nous ce choix a été plus limité et plus orienté) et puis ces 4 choisissent leur + 1 pour constituer ce petit groupe.
Le plus petit groupe qui puisse faire contre-pente, contre-expérience au duo du Discours Analytique et l’interroger, de ce fait, sans 1’évacuer pour autant.
En effet, comme pour tout groupe humain, le cartel se constitue de l’impossibilité d’inscrire le réel dont il se fonde.
A charge pour le plus un mais aussi aux autres de veiller à ce que cela ne soit pas occulté, chacun étant appelé à s’identifier au trou que constitue cette béance pour la faire fonctionner.
Autrement dit, on participe au cartel au titre de sujet divisé en tachant de répondre de son réel.
Le cartel, en effet, devrait fonctionner de telle sorte que chacun y soit indispensable.
Il est d’ailleurs réellement ce qui se vérifié lorsque son absence empêche son fonctionnement ou lorsque son départ entraîne sa dissolution.
C’est une façon de dire que ce groupe est de structure borroméenne et non pas hiérarchisée.
Ce qui est spécialement important pour les cartels de la passe où la parole de chacun doit être équivalente (équivalente ne veut pas dire la même - mais, au contraire, radicalement autre pour faire poids).
De ce fait, on comprend mieux comment la décision à prendre peut faire trait commun tout en respectant la différence du produit propre à chacun.
L’énonciation de chacun se particularise .
Ainsi se particularise l’énonciation de chacun, où se joue la prise de son désir, au-delà du savoir référentiel qui pourrait venir faire bouchon au trans¬fert de travail. Cependant le savoir référentiel n’est pas absent pour autant.
Comment le serait-il ?
De même que, dans la cure, l’application du dispositif (sans précédent dans l’histoire), même tout savoir suspendu, implique une formidable armature de savoir, de même la mise en place de la procédure n’est pas sans l’horizon de ce savoir.
Une formidable armature de savoir, textuel et référentiel.
Nous nous sommes cependant efforcés d’y fonctionner en position subjective — à discuter jusqu’à plus soif, tour à tour pour rendre raison de nos arguments.
Il nous fallait donc soutenir par une énonciation propre les énoncés du Discours Analytique qui nous ont guidés.
Ne pas voter pour la décision, mais l’argumenter en bonne logique.
Ainsi, par exemple, nous avons estimé qu’il valait mieux ne pas voter, le vote nous ayant semblé comporter le risque d’escamoter le débat renvoyant le cartel à fonctionner seulement comme un jury aux dépens de ce qui devrait l’animer.
Le veto étant ainsi rendu impossible, nos décisions ont été prises après accord modulé et articulé logiquement par chacun.
L’expérience d’une crise dans le cartel, largement évoqué, nous a fait nous maintenir sur cette pente.
Bref, la structure du cartel nous semble propice et favorable à la reprise de l’expérience, à condition bien sûr que chacun y soit sollicité comme sujet.
A cet égard, si, dans la cure, l’analyste tient comme agent la position de semblant de l’objet a, raison pour laquelle l’analysant peut lui faire la supposition du savoir qui est le sien, en réalité, dans le cartel, il ne saurait en être ainsi.
En effet, le cartel, en aucun cas, ne saurait être le support de la baudruche du sujet-supposé-savoir (c’est le savoir qui est supposé, pas le sujet).
Que l’imaginaire de l’Ecole y projette le fantôme d’un jury est un trompe l’oeil, et si le cartel devait accréditer cela, il participerait d’une supercherie.
C’est une position d’autant moins tenable que le passant s’il a fait chuter sujet-supposé-savoir (ici c’est le sujet qui est destitué et non pas le savoir) ne va quand même pas le faire renaître dans le cartel qui n’est que le sujet du collectif supposé se mettre au travail.
Le passant d’ailleurs s’il est ce qu’il devrait être, c’est-à-dire ni analysant, ni analyste, mais dans l’entre-deux (Lacan).
Il démontrera éventuellement que sa candidature, même si elle en passe par une demande adressée à l’institution pour être écouté, sinon entendu, cette candidature demeure un acte avant tout.
La demande serait plutôt du côté de l’institution.
Lacan ne disait-il pas que, pour en savoir un peu plus, il était allé jusqu’à supplier certains à s’offrir à l’expérience ?
II est vrai qu’il ajoutait aussi qu’on lui avait le plus souvent opposé l’injure.
(Schéma extrait de la 1re version de la Proposition).
La commission de la garantie, laquelle occupe la place de l’Autre dans l’institution, peut faire office de sujet-supposé-sachant , car la nomination des A.M.E. dépend, bien sûr des significations qu’elle donne à ce titre.
Il en est tout autrement pour les cartels de la passe.
Leurs décisions, s’ils se situent en S (A barré), n’offrent une garantie qui ne peut trouver sa consistance en retour que par la série des A.E. nommés, et de ce qu’ils auront à dire puisqu’ils se sont engagés à le faire.
C’est la série des AE qui fait garantie de preuve de l’épreuve.
Bien sûr, en principe, cela devrait rétroagir secondairement sur ce qui permettrait de nommer les A.M.E.
L’absence relative de garantie de nos décisions a pu parfois apparaître de façon fort comique, malgré le sérieux de l’affaire.
Les passants nommés par exemple ne sont rien venus nous demander après-coup.
C’est, à mon sens, un fait de structure, j’en dirai quelque chose dans la suite.
Au contraire, certains passants dont nous n’avons pas pu authentifier la passe sont venus nous engueuler ou manifester leur surprise.
Comme s’il allait de soi que de se présenter à la procédure suffisait pour être nommé ou devrait l’être même comme l’enregistrement de quelque chose qui avait été déjà accompli selon eux.
II est vrai aussi qu’en même temps, passée la fureur compréhensible des premiers instants, certains sont venus nous confirmer la pertinence de notre décision par l’ouverture qu’elle a pu constituer pour eux, même si les explications données pour la motiver n’ont pas toujours été, selon eux, très satisfaisantes (ce qui démontre une fois de plus l’étrangeté radicale de sa passe pour un sujet).
Étrangeté radicale de sa passe pour un sujet.
Autre façon ainsi de faire exister l’analyste par sa sériation faisant de la garantie une garantie relative - vrai travail d’école.
Si on a pu faire entendre que le cartel de la passe n’est pas un jury et qu’il est demandeur de savoir au nom de l’institution, on va mieux comprendre
maintenant comment s’articule sa double fonction, à savoir de faire un travail de doctrine et d’enseignement et, en même temps, de faire aussi office de jury dans la sélection des A.E.
La fonction de jury du cartel, est à soumettre à tous pour juger de ses capacités à faire-savoir ce qu’est la passe.
I - S’agissant du travail de doctrine et d’enseignement, il porte sur quo i ?
Si l’A.E. est celui auquel on impute « d’être de ceux qui peuvent témoigner des problèmes cruciaux aux points vifs où ils en sont pour l’analyse, spécialement en tant qu’eux-mêmes sont à la tâche ou du moins sur la brèche de les résoudre ».
Cet énoncé, extrait de la Proposition de 1967, élargit considérablement le champ de l’objet - passe que le cartel aurait à authentifier et à élaborer.
De l’acte, après tout, au moment de son accomplissement, le sujet ne peut rien dire puisqu’il comporte son abolition de sorte que cet acte le représente, parce que le sujet en est à la fois l’agent comme objet et qu’il est agencé par lui comme sujet.
Le sujet ne peut donc en témoigner que par son redoublement permettant de le saisir dans un dire et c’est bien sa répétition dans l’après-coup nécessaire au temps logique qui fonde l’acte inaugural.
L’acte n’étant défini par nous que du dire.
Par exemple, on ne peut savoir de César s’il a fait un acte en franchissant le Rubicon que si son dire après est différent de celui qu’il était avant. Autre¬ment dit, fait événement par l’avènement d’un sujet nouveau. Le redoublement de
l’acte, c’est un :
« J’ai dit et je répète pour vous ».
Ainsi en est-il pour la passe dans la procédure.
On ne peut donc authentifier le moment de la passe comme inaugural de ce virage de l’analysant à l’analyste dans la cure, qu’à le saisir dans un dire transmis en acte qui le redouble et le répète dans la procédure en l’objectivant.
Si cela implique impérativement que l’acte qui n’est que l’affaire d’un moment soit complètement accompli dans la cure, ça n’implique nullement que le passant puisse réaliser la performance de transmettre intégralement son parcours dans un dire élaboré en le redoublant dans la procédure :
1 - d’abord parce que le redoublement de l’acte se traduit toujours par une perte.
2 - ensuite parce que au-delà de l’impasse de structure de la castration (- phi)
parfaitement repérée par Freud, la passe concerne l’objet qui devient actif alors
que le sujet est subverti, et la procédure visant à récupérer au niveau signifiant ce qui se joue au niveau de l’objet impossible à significantiser doit régler
ce paradoxe.
3 - enfin, parce que le passant peut n’avoir pas encore compris certains points vifs de ce parcours même s’il en a aperçu les reliefs.
A cet égard, mieux vaut parfois passe comme formation inachevée que son
bouclage prétendu dans une finitude de son savoir, de toute façon impossible à
démontrer.
La Procédure donc, si elle ne sanctionne pas une pratique, n’authentifie pas non plus l’être - analyste, encore moins l’être du sujet.
Elle est bien une question sur le savoir inconscient du sujet, sur sa transmission et son élaboration, parce que si le moment de la passe dans la cure peut se faire à l’insu de l’analysant, son redoublement dans la procédure n’est pas-sans le savoir du passant.
A cet égard, l’invention serait plutôt du côté du passant.
C’est à lui de s’efforcer de transmettre la voie plus ou moins élaborée qu’il a inventé de ce passage, qui ne peut se repérer que dans les trouvailles signifiantes de son parcours, les seuls trous qui vaillent, dit Lacan - dans le parcours aussi de la cure où il a construit son savoir inconscient.
Le cartel ayant à faire non pas invention - ce n’est pas exclu - mais élaboration seconde, prolongée, écriture de ces trouvailles transmises pour baliser cette passe, au risque aussi de la banaliser, grâce à quoi on pourra peut-être saisir non pas l’acte en lui-même mais son épure.
C’est donc le tracé de l’acte qui peut s’apercevoir dans la mise en série
d’un certain nombre de dire dont le sujet ne peut pas se dédire et qui constituent autant de point-noeuds, de problèmes cruciaux autour desquels il pose sa question.
Ce tracé de l’acte, Lacan nous en a articulé la topologie en faisant usage
pour l’illustrer de la bouteille de Klein, dont ne fait pas sortir quiconque
de son goulot ce qui est dans sa doublure.
Je vous le rappelle ici car sa logique reste au cœur de notre expérience comme référence.
La traversée du fantasme nous est donnée par cette figure de torsion en double chiasme qui donne support à l’être du sujet.
A suivre le tracé de l’acte, on voit comment l’être du sujet ($ <> a) se diversifie en un être de savoir impossible à dire [-phi vers S(A barré)], et, être de vérité, objet a, dans le mi-dire de la jouissance, qui se conjoignent à nouveau dans la répétition d’une aliénation qui n’est plus la même.
En effet, entre temps de l’acte et de son redoublement, le statut du savoir a changé. Il n’est plus jouissance de l’Autre, mais chiffrage nouveau de la jouissance dans le déchiffrage du désir de l’Autre si le sujet n’a pas renoncé à résoudre sa question.
Reste au sujet pour suivre l’éthique du bien dire à se soutenir dans la pente
de son sinthome (voir schéma du graphe), c’est-à-dire à coller à la structure qui
le détermine au-delà de son fantasme.
Lacan a pu dire que sa proposition se forme sur le modèle du trait d’esprit, du rôle de la Dritte-person.
A ne pas trop s’obnubiler sur cette dritte-person, pour y situer l’Autre du jury, on peut aussi se pencher sur les autres conséquences qui comportent cet énoncé.
Au fond, si le passant fait mot d’esprit de sa passe, il le fait à ses dépens, ce qui est assez rare pour un mot d’esprit d’en être à la fois l’agent et l’objet,
c’est-à-dire le jouet.
Le Witz n’est pas mathème.
Le Witz n’est pas mathème et la passe est bien le lieu où préserver le recul de 1’énonciation par rapport aux énoncés transmis, autre paradoxe à régler d’un discours sans parole mais qui n’existerait pas sans la dimension de la parole.
Par le trait particulier de 1’énonciation, on peut interroger la consistance des mathèmes et non pas mettre 1’énonciation au pas du mathème.
Le mathème, après tout, n’est que l’écriture d’une convergence d’énonciations multiples qui gardent leur valeur propre.
C’est pourquoi Freud ou Lacan, à l’occasion, pouvaient sus¬pendre l’édifice de leur théorie au profit d’une seule énonciation rencontrée chez un patient si celle-ci pouvait leur apparaître comme particulièrement pertinente dans sa nouveauté.
Le Witz, dans son énonciation, suppose donc des variantes, des malentendus,
des distorsions.
Le témoignage des passeurs, à ce titre, n’a pas à être exact, mais fidèle - comme est fidèle à la structure du mythe ce que transmet l’informateur (tout le monde ne peut pas l’être) à l’ethnologue même à lui conter fleurette.
C’est tout l’écart qui se creuse ici entre l’énonciation qui touche au vrai et l’énoncé exact qui touche au réel mais pas au vrai. Ni secrétaire de direction, ni analyste, le passeur doit y mettre du sien, son style compte autant que le con¬tenu de ce qu’il transmet.
Prévalence est donc à donner à la parole sur l’écriture qui est seconde, afin que l’énonciation passe sans se perdre à travers ce qui se transmet de l’un à l’autre, afin aussi :
« Qu’on dise » - ne reste pas - « oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend ». Pour les différencier :
Si le passeur est la passe, c’est-à-dire pas encore suffisamment décollé de l’objet, il fait ce qu’il peut (sauf à n’y être pas).
Au contraire du passant, qui s’il est dans le franchissement de cette séparation, fait ce qu’il veut, c’est-à-dire qu’égaré dans le signifiant, il démontre en quoi le désir pris dans la métonymie de la chaîne signifiante est le désir de l’Autre.
Il faut évoquer maintenant quelques problèmes cruciaux pour la psychanalyse.
Ils ont déjà été abordés ici de différentes façons. Je le fais donc succinctement, mais alors en position de demandeur pour en savoir plus.
Par exemple :
1 - Quels sont du passant les points nodaux de ses identifications et leur valeur ? Notamment son mode d’accrochage aux noms-du-père où son désir se noue. On peut essayer d’en donner quelques uns qui ne paraissent pas devoir rester dans l’ombre comme cela a souvent été le cas, alors qu’ils ont été évoqués par le passent.
Certains symptômes.
La femme : autant on a pu voir chez les passantes combien pour elles un homme peut être un ravage, autant chez les passants on n’a jamais pu bien saisir ce que leur femme pouvait représenter pour eux comme symptôme.
La guerre avec l’histoire nazie qui pèse encore.
La dissolution aussi : on sait qu’elle a opéré pour certains comme prétexte de fin de cure et même d’illusion de passe.
La religion enfin. Lacan a toujours insisté pour dire qu’on ne se déba-rasee pas de la question de Dieu aussi facilement qu’un Voltaire a cru le faire par une pirouette.
Après tout aussi, l’accrochage à la religion juive qui « subjective le sujet » n’est pas le même que celui à la religion chrétienne qui pousse à l’idéalisation.
On peut vouloir se débarrasser de certains Nom-du-Père, spécialement encombrants dans la cure, mais là, à mon sens, n’est pas le vrai problème.
Il s’agit moins d’oubli ou de mise au rancart que d’usage nouveau pour le sujet.
J’y verrai l’essence du savoir nouveau qu’il a inventé et qu’il lui faudrait transmettre. Lacan ne disait-il pas n’avoir inventé que l’objet « a » ce qui nous laisse une grande marge de manœuvre, à condition d’être modeste.
Après tout, ne vous semble-t-il pas que si l’entrée du sujet en analyse se fait au titre de la débilité mentale de n’être pas solidement installé dans un discours, sa sortie comme analyste, qualifiée par Lacan d’être un non-idiot, devrait permettre au sujet de se situer ou d’être capable d’avoir à faire aux autres discours que le Discours Analytique n’invalide pas plutôt que de rester dans l’idiotie du un tout seul ?
C’est-à-dire à savoir s’y déplacer en respectant l’éthique propre à leur structure.
Ce qui n’est pas le cas pour une canaille qui refuse d’en jouer le jeu pour en tirer profit, ce qui le rend bête.
On peut aussi à les tripoter produire l’ébranlement de ses identifications.
Dépersonnalisation, on appelle ça. Phénomènes épinglés à juste titre de moment de bascule.
Bascule risquant de devenir dans l’Ecole, à défaut d’être bien repérée comme structure, un signifiant erroné de la passe et faire du cheval à bascule un signifiant phobique à-tout-faire de la passe.
Si le signifiant ne peut pas se signifier lui-même, il faudrait plutôt inventer un cheval à double bascule qui n’existe même pas à la foire du Trône.
La dépersonnalisation n’est pas la passe, ni le franchissement du seuil de l’identification.
La dépersonnalisation n’est pas la passe, ni le franchissement du seuil de
l’identification (je sais bien que Lacan n’a pas toujours dit cela), même si elle en annonce le voisinage.
Ça se voit très bien lorsque le sujet en sort le même qu’avant ou habillé dans le prêt-à-porter que lui offre facilement la théorie analytique sinon son discours.
Difficile de l’en sortir, tant sa certitude est désormais inébranlable.
Le moi-autonome, comme la paranoïa post-analytique, ne sont pas absents même chez ceux qui se disent lacaniens.
Si la dépersonnalisation est un moment fécond, le sujet pourrait peut-être essayer de dire ce qui lui a fait signe particulier, en ce moment privilégié, comme réponse du réel.
On pourrait peut-être alors s’efforcer de distinguer l’impuissance à dire qui a certes valeur de signification de la castration mais qui n’est pas l’impossible à dire lequel touche au sens de réel de la castration et qui se démontre dans les impasses répétées du savoir du sujet.
C’est l’exigence minimum pour parler de franchissement du seuil des identifications.
Ainsi, rabattre son énonciation sur un mathème ou donner le récit d’un rêve, sans l’élaborer, comme réponses à une question venue au jour dans la procédure, n’a pas valeur de solution, mais d’énigme, de comble de sens, d’impuissance a dire où une signification absolue peut trouver à se loger.
Imaginarisation de la passe ou idéalisation de la psychanalyse comme nom-du-père, par exemple, dont le sujet se ferait le missionnaire.
Cependant la dérobade ou l’esquive dans la pro¬cédure n’est pas une faute éthique, elle est un fait de structure où se démontre que le passant n’y est pas ou n’y est plus.
En effet, à l’ineffable delà signification absolue, on n’a rien à ajouter, elle est irréfutable. Il en est tout autrement de l’impossible à dire, qui se répète dans les impasses du savoir. L’impossible à dire pour un sujet, ne l’est pas nécessairement pour un autre qui peut l’articuler, le nommer.
C’est pourquoi Lacan parle de bout de réel propre à chacun et non pas du même réel pour tous.
L’hétérogénéité du réel dont se constitue le cartel, du réel dans la faille de la vérité du passeur, du réel de la mauvaise rencontre du passant, trouvent ainsi à se distinguer dans leur nouage.
2 - La destitution du sujet-supposé-savoir.
Se rendre compte un jour que son analyste ressemble à « une chiure de mouche » participe plus d’une cénesthésie que de sa destitution vraie.
La destitution du sujet-supposé-savoir ne signifie aucunement que de l’Autre le sujet peut s’en débarrasser en tirant une chasse d’eau.
L’Autre, en fin de cure n’est débarrassé ni de son savoir, ni de sa vérité
L’Autre, en fin de cure n’est débarrassé ni de son savoir, ni de sa vérité, il n’est rien, mais un rien plutôt consistant puisqu’il est ce rien que le passant est devenu dans le désir de l’Autre comme objet « a » après avoir renoncé à l’avoir.
Cela, bien sûr, si l’on reconnaît que l’analyste ne présentifie pas le désir, mais la place de l’agent tenue par lui en position de semblant d’objet « a » par lequel l’analysant peut nouer son désir au désir de l’Autre.
Le pari, chez Lacan, apparaît donc n’être pas celui de Pascal.
On ne parie pas sur le père, ni sur l’Autre qui n’existe pas, mais sur le pire.
C’est-à-dire sur l’objet auquel on ne croit pas mais qui devient pourtant la cause perdue du désir de l’analyste, afin que le sujet puisse retrouver dans le parler ce qu’il lui faut de jouissance pour que son histoire continue malgré le discours de la science.
3 - Enfin, ne pourrait-on pas en savoir un peu plus sur certains moments cruciaux dans la cure par des coordonnées signifiantes plus précises ? (L’Ecole y a consacré des journées d’études).
Notamment, quel a été le sens des interventions de l’analyste ? La valeur et les effets de sen interprétations ? De ce point de vue, nous n’avons pas eu grand
chose pour en suivre le travail d’élaboration, afin, par exemple, de pouvoir mieux déployer le moment de la passe et la fin de la cure.
L’entrée aussi dans la pratique, le cas échéant.
Tous ces problèmes cruciaux, dont on attend plus d’informations expliquent pourquoi il n’y a pas de critère de la passe, mais authentification possible
seulement d’une passe singulière à partir de certains points vifs venus au jour dans la procédure et dont il faut bien dire qu’ils ont été laissés le plus souvent dans l’ombre.
S’agissant maintenant du cartel faisant jury. Pourquoi nomme-t-on ? Quel est le sens de cette nomination des A.E.?
Dernier problème crucial où l’on s’efforcera de distinguer ce qui se joue entre la nomination à son état pur dans le nom propre et celle de la nomination à son état conceptuel dans la passe en tant qu’elle fait trou.
(On laissera de côté ici le sens de l’évocation ou non des noms propres par le passant dans la procédure.
Cette question ayant été déjà abordée cette année).
Les cartels font Jury (c’est le terme employé par Lacan dans la lettre adressée à J.-A. Miller et à Cl. Conté et qui nous a été transmise à l’Ecole).
C’est un aspect de leur fonction qu’il ne faut pas méconnaître. Ils ont un rôle de sélection des A.E., qui s’opère à partir d’un jugement et d’une évaluation qui porte sur la performance et non pas la compétence d’un passant.
Les enjeux de pouvoir mesquins qui pourraient venir parasiter le travail analytique dans une école digne de ce nom et où un nouveau style de vie pourrait s’inventer.
Lacan n’entendait nullement supprimer le pouvoir, car le réel de l’institution n’a pas à être occulté. La proposition de 67 a une dimension politique qu’il ne faut pas oublier et qui dépasse de très loin les enjeux de pouvoir mesquins qui pourraient venir parasiter le travail analytique dans une école digne de ce nom et où un nouveau style de vie pourrait s’inventer.
Le symbolique de l’Oedipe dans la cure, 1’imaginaire de l’institution analytique, le réel de l’horreur des camps de concentration ?
Pourquoi autrement Lacan, dans sa Proposition, viendrait-il évoquer le symbolique de l’Oedipe dans la cure, 1’imaginaire de l’institution analytique, le réel de l’horreur des camps de concentration ? Sinon pour nous avertir d’être plus attentif.
Il y a donc continuité de la sélection et même renforcement du contrôle puisque l’institution est placée du fait de la procédure au cœur du dispositif analytique.
Il s’agit bien de l’évaluation de la formation de l’analyste, de sa fabrication en quelque sorte qui s’opère au niveau même des formations de l’inconscient.
Mais, là, quelque chose de nouveau en principe devrait émerger : ce n’est plus l’institution qui règle l’acte, mais l’acte qui est appelé à contrôler l’institution.
Si l’A.M.E. est garanti par l’Ecole, BCBG, les choses devraient par la passe se renverser et rétroagir dessus, 1’A.E. devenant garant dans l’Ecole de 1’ek-sistence de l’analyste.
Quant à 1’AP, la dérision de son inscription comme tel dans un annuaire public , il a pour fonction de supporter la charge de l’impossible que l’analyste puisse s’autoriser de lui-même.
La nomination est donc nécessaire, sinon l’expérience n’aurait pas de sens au regard de l’institution
.
En ne nommant pas, on a peur de parier sur l’ek-istence de l’analyste, qu’aucun à part Freud ne saurait incarner, ni être l’affaire d’un seul.
C’est pourquoi aussi pour donner consistance à la valeur de la nomination, il faut faire série d’A.E., afin de mieux cerner cette ex-sistence de l’analyste. Qu’on l’aborde :
a) par l’objet dont il fait semblant,
b) par les impasses de son désir,
c) par l’acte dont il s’institue.
En ne nommant pas, on renforcerait la consistance des notables, alors que l’introduction du gradus devrait entraîner une rupture de la hiérarchie qu’elle ne supprime pas cependant - c’est un pari.
Enfin, la nomination vise à empêcher toute idéalisation d’une expérience qui n’est aucunement d’ordre sacrificiel à on ne sait quels dieux obscurs.
Cette nomination est donc un titre d’École, et non pas d’appartenancedu sujet, mais elle n’est pas un nommé à…, nommé à une fonction par exemple, comme dans le Discours Universitaire.
Lacan disait qu’elle serait alors le signe d’une dégénérescence catastrophique dans le D.A. - ce qui est le cas pour tout discours dès qu’il s’applique hors de son champ spécifique où il a ses raisons dans le réel qui le conditionne.
Quel est le sens de cette nomination ?
On pourrait le demander aux A.E. Passée l’euphorie relative des premiers instants, est-ce que cette nomination ne leur apparaît pas comme une non-réponse plutôt que comme une réponse absolue ? Opère-t-elle de ce fait une ouverture qu’elle appelle ou un bouclage ?
Après tout, la destitution subjective, aggravée par la nomination, c’est même sa nécessité comme impact.
C’est moins paradoxalement d’une déperdition dont il s’agit que de la rencontre d’un devoir.
« Cela fait être singulièrement et fort plutôt que desêtre. »
Lacan le souligne qui exemplifie ça non pas par hasard du guerrier appliqué(emprunté à Paulhan, pour ma part je préfère la figure plus noble du légionnaire).
L’hors-discours ponctuel de la passe touche sans doute au réel mais pas sans appeler aussitôt l’instance du Surmoi.
Surmoi dont Lacan disait que c’est ça qui pousse à l’ouvrir, à enseigner, dans le nouveau de ce rapport entre destitution subjective et être qui n’est rien d’autre que la tenue d’une position éthique.
La nomination est donc plutôt une dé-nomination et si on peut se permettre un forçage de sens, ça peut aussi vouloir dire perdre son nom propre, n’en avoir plus la disposition propre. Le tombereau d’ordure qu’on peut à l’occasion déver¬ser sur quelqu’un procède toujours de ça.
Lacan disait de Freud et de Marx que s’ils avaient réussi, c’est qu’ils étaient
parvenus à faire entrer leur nom propre dans la structure du discours qu’ils voulaient servir, non pas à faire auteur mais signifiant d’une conceptualisation
nouvelle.
A ce titre, il me semble que la nomination dans la passe viserait à faire du nom propre du sujet (notable dans un autre discours) nom commun dans le Discours Analytique (Précision à donner ici, il ne s’agit nullement de l’effacement du nom propre ou du sujet comme cela se produit par exemple dans la religion ou un parti politique, voire le service irresponsable d’une cause).
Lacan me le confirme en écrivant dans La raison d’un échec (Scilicet 1, p.45) :
« Que le bruit ne convient pas au psychanalyste et moins encore au nom qu’il porte et qui ne doit pas le porter ».
Cette dépossession, cette perte de la valeur de son nom propre en tant qu’il fait suture de la béance de son être que la passe ouvre, le passant a pu l’éprouver dans ce passage du privé au public.
Nommé ou pas, cette procédure opère bien cette dépossession dont je suis certain que les passants ont à ressentir les effets.
Ce n’est pas non plus - on me l’a confié - sans quelques craintes qu’ils peuvent entendre ce que nous disons ici, dans l’usage plus ou moins prudent, plus ou moins pertinent de ce qu’ils auraient pu livrer dans la procédure - ce qui fait aussi pour nous la difficulté actuelle de ce que nous avons à communiquer avant qu’une élaboration plus performante permette de surmonter cet obstacle. Alors A.E. ?
Titre d’honneur, oui, mais pas sans quelque horreur froide.
Quels honneurs l’analyste pourrait-t’il d’ailleurs attendre, s’il peut avoir à l’occasion un profond respect pour les semblants, que l’on n’agite pas impunément ?
« Puisque se foutre aussi de la justice distributive, c’est de là que souvent il est parti » rappelle Lacan en parlant du Saint dans son « Télévision » pour évo¬quer ce que devrait être l’analyste.
Se foutre aussi de la justice distributive.
A savoir :
Celui dont la rigueur de sa pensée devrait passer dans la logique de sa vie s’il prétend servir l’éthique du bien-dire.
La Passe, si elle existe, devrait permettre ce virage de la tragédie du désir au comique de la jouissance par la vertu d’un savoir acquis même au prix fort.
Ça vaut la peine d’aller y voir de plus près.
Patrick VALAS (Paris, le 29 Juin 85 - Caracas, le 17 Août 85)