Daniel Pendanx : Le mariage gay, les pétitions et l’interprète.
Le mariage gay, les pétitions et l’interprète.
S’il peut paraître utile, dans l’agitation et les confusions actuelles, de démarquer la psychanalyse
de « certaines des thèses opposées au projet de loi » comme il est dit dans la déclaration publique agrégeant des personnalités du groupe millerien (1) – déclaration-pétition donnée, après la première de la même eau, en pâture à l’esprit de masse -, faudrait-il encore que les psychanalystes ne viennent par là cautionner les « thèses » de la nouvelle dogmatique, celle du sujet libre de toute attache fiduciaire, le sujet dispensé de l’Œdipe.
Faire le malin à l’endroit des ecclésiastiques est chose aisée,
saisir que le danger principal – la plus folle croyance au rapport sexuel – est du côté du nouveau familialisme, homoparental, et s’engager dans une résistance critique à son endroit, est une autre paire de manches, qui demande à l’interprète de conquérir une toute autre liberté, un autre courage politique.
Dans les attendus de cette déclaration la « religion » est donnée comme un consommable, à disposition du sujet, qu’on prend ou qu’on ne prend pas. C’est là l’esprit même du « marché des religions » – concept made in USA dont notre laïcité se repaît.
Un autre principe de la manœuvre théologico-politique peut être également repéré.
occultant la question du « d’où je cause », et la dimension proprement dogmatique d’une telle déclaration, les signataires s’adressent à nous comme si la parole ne supposait ses propres fondements langagiers, fictionnels, les fondements institués de la parole, et comme si ne se déployait en tout système de civilisation, sous la Référence – cette métaphore du lieu vide du Pouvoir, de l’Autre institutionnel – , un mythe fondateur (Genèse ou pas) dont la représentation centrale, sous des formes diverses, est celle du couple originaire Mère / Père.
Ce propos sera à coup sûr tenu pour un propos d’antiquité freudienne, voire lacanienne, tant le « dernier Lacan » semble pour certains annuler toute considération approfondie du fait que « le sort psychologique d’un enfant dépend du rapport que montrent entre elles les figures parentales » (in Les complexes familiaux), et toute prise en compte de l’étayage symbolique, culturel, institutionnel de ce rapport des figures entre elles. Un étayage noué à cet ordre langagier, des nominations de la parenté, dont le juridique est comptable, et ce faisant garant de l’identité.
Du « non rapport sexuel » ou de « la femme n’existe pas ».
Le droit, particulièrement le droit civil n’a en effet d’autre vocation anthropologique, clinique, je le répète dans le fil de l’apport de Pierre Legendre, que d’authentifier et faire valoir, selon la logique structurale ternaire, l’écart et la distinction entre les figures, soit l’espace vide, de séparation, que soulignent les formules de Lacan du « non rapport sexuel » ou de « la femme n’existe pas ».
Le droit et les juges ont cette fonction symbolique, clinique, et non, comme le juridisme ou l’anti-juridisme (son ombre portée) y conduisent [j’en ai la longue expérience dans le champ de la justice des mineurs], celle de gérer et de réguler les comportements, et ce le plus souvent dans les formes les plus actuelle, homoparentales, du familialisme – qui font du père une mère comme les autres.
Les juges ont pour fonction de remettre en scène, symboliquement en scène, la représentation œdipienne.
Les juges ont pour fonction de remettre en scène, symboliquement en scène, la représentation œdipienne, et de faire ainsi valoir l’écart, l’espace de séparation entre les figures : soit le fait que papa et maman c’est distinct, qu’on ne peut faire de papa une maman comme les autres, que papa + maman ça ne fait pas totalité, ça ne fait pas Un (un-stitution familiale), pas complémentarité, pas complétude, ça ne fait pas Mère totale … Mais il ne suffit pas de répéter à l’infini cela si par ailleurs, a contrario, on ferme les yeux ou l’on collabore à la déconstruction des digues et montages du droit qui soutiennent symboliquement le réel, le réel du non rapport sexuel. Je dirai même : le distingue, le font valoir comme tel. [Tout fondamentalisme, fondamentalisme du fantasme, sous-jacent à tout totalitarisme, se soutient d’un droit qui tend à récuser le Réel.]
L’incomplétude constitutive de notre condition de parlant a une facture institutionnelle, interne et externe au sujet, c’est un fait symbolique, juridique :
il n’y a de sujet de la parole (divisé du Sexe, divisé de la Mère) que sujet institué, autrement dit, c’est à mon tour de rabâcher, que sujet lié, quelles que soient ses boiteries subjectives, ses orientations sexuelles, à une représentation fondatrice non faussée – je dis bien, « représentation » – , où les figures Mère et Père, différenciées et croisées, ne sont pas confondues, mises à toutes les sauces de l’inceste et du meurtre, comme il en est dans « l’autre scène » du fantasme.
S’il n’est donc pas dans mon esprit que les interprètes viennent prêter main-forte à un juridisme visant à écraser ou interdire le fantasme, quelque fantasme de scène primitive que ce soit, soit-il celui des parents combinés, symétrisés, dont la fiction homoparentale est une expression directe, cristallisée, je ne crois pas pour autant que nous ayons à nous faire serfs de cette perversion de la fiction originaire dont la nouvelle loi sur le mariage est porteuse, avec à la clef la croyance redoublée en La Femme (la Mère absolue) et la légitimation du règne du fantasme…
Les producteurs de ces « pétitions » écrivent à l’unisson, comme si le juridique était dissociable du principe généalogique, du principe du Père (lui aussi rabattu par le féminisme ultra, à l’identique du machisme, sur la norme mâle, la « domination patriarcale », « le privilège matrimonial de l’hétérosexualité »), et n’avait rien à voir avec la logique des places !
Les praticiens qui s’embarquent dans ces pétitions, ou ont-ils si peur de passer pour des inactuels, des non progressistes ?
Les praticiens qui s’embarquent dans ces pétitions ne voient-ils donc le déséquilibre qui s’y implique, ou ont-ils si peur de passer pour des inactuels, des non progressistes ?
Charles Melman rappelait récemment : … ce qui était frappant, pour ceux qui ont connu la pratique de Lacan, c’est qu’il semblait obstiné justement, et parfois violemment, à la défense, à l’affirmation d’un certain ordre. Pas l’ordre patriarcal. Pas non plus l’ordre quelconque, ou l’ordre qui serait justement celui de « Allez, faut foutre ça en l’air et puis on sera bien mieux ! » (JFP no37)
Mais pour Miller and Co : « La structure œdipienne n’est pas un invariant anthropologique » (2). Voilà, la formule dogmatique choc est crachée, assénée sans autre subtilité… Comment voudriez-vous que cela résonne autrement qu’au service du culte libéral-libertaire du Marché – le marché du libre service normatif ?
Ce genre de proposition dogmatique à l’emporte-pièce, sans rigueur, qui évacue ou réduit à peau de chagrin la question des fondements institués de la parole, ceux de la clinique, conduit à des pratiques désarticulées de la problématique œdipienne, dimension inconsciente et juridique comprise, et laisse au final le champ libre, sous l’idéal tant proclamé du « sujet désirant », du « sujet auto-fondé », au positivisme techno-gestionnaire, scientiste, et à un sociologisme généralisé – lesquels eux, du « sujet », en font leur affaire, l’affaire de la servitude volontaire, celle de la soumission consentante.
J’y insiste, « la femme n’existe pas » ou « il n’y a pas de rapport sexuel », c’est un fait de structure, langagier, un fait institutionnel, un effet des nominations (de la langue), noué juridiquement, par les montages du droit civil. C’est ce fait, ce nouage, ces montages, qui se trouvent aujourd’hui subvertis, déconstruits.
Voilà qui ne peut pousser qu’à l’inceste.
L’ecclésiastique, évoquant l’inceste – ce qui lui a valu tous les cris d’orfraie - n’a eu pour seul tort que de passer du registre de la représentation au réel un peu vite !
Ce rabattement des registres l’un sur l’autre (que Lacan n’a cessé me semble-t-il de chercher à déjouer, en dernier lieu avec ses nœuds) amène la plupart des opposants au « mariage pour tous » à se tenir dans le « débat » sur le même terrain (terrain sur lequel se déploie à tout va le psycho-sociologisme) que les tenants de la nouvelle loi, dans le même champ de croyance en la Femme : la croyance imaginaire à la complémentarité papa-maman.
Pour l’interprète – je livre ces deux propositions aux esprits et aux compagnons les plus libres –, la gageure « politique » du moment me paraît être de :
prendre réellement en compte le statut social juridique tiers et limité de la psychanalyse, saisir que celle-ci ne peut-être livrée au Nombre, aux pétitionnaires, sans être ainsi « récupérée dans la féodalité des mythes religieux modernes » (3)
considérer la folie de la déconstruction juridique en cours, sans pour autant rebasculer dans l’œdipisme, le vieux juridisme.
Ce qui suppose de prendre acte, j’y reviens toujours, du pas de Legendre. Mais voilà qui conduirait peut-être à de nouvelles distinctions, à de nouveaux « adieux »…
Bordeaux, le 26/01
Daniel Pendanx
(1) Cette déclaration est publiée sur le site Lacan-quotidien, et sur le forum du site Œdipe (fil, HOMOPARENTALITE, le débat).
(2) Qu’une telle proposition dogmatique ait été complaisamment publiée sur le forum du site si bien nommé Œdipe, initiant un prix "Oedipe", et soit jusqu’à présent restée sans suite, sans reprise critique, ne manque pas de sel… Je note qu’après avoir pu y engager mon propos (interventions auxquelles je renvoie ici le lecteur), suite à un conflitadvenu avec quelques uns (avec sa part de malentendu), mes derniers « posts » s’y trouvent refusés, dois-je dire censurés ?, comme s’il fallait, dès lors que vous ne rentrez pas dans les usages – quels usages ? - passer son chemin. Pour éviter le conflit ? Cela pourrait en effet aiguiser les enjeux : des enjeux proprement analytiques. Tenir les sujets hors conflit – annuler le rebelle et prier l’interprète de passer son chemin – reste, notez-bien, l’idéal d’un Management institutionnel qui aspire à gouverner, avec le sourire et la politesse de l’Innocence, une communauté de jouissance débarrassée du diable, autrement dit délivrée de l’Œdipe, et de la culpabilité associée pour chacun au conflit.
Seule la conscience profonde de la culpabilité peut rendre possible une réconciliation future disait je ne sais plus où Kundera, évoquant le sens partagé du tragique et de la culpabilité, l’une nouée à l’autre… Cela n’engagerait-il en rien la problématique œdipienne ?
Alors je veux bien qu’on soit aimable, trois fois courtois, mais le débat d’idée et le travail de distinction (essence du travail démocratique), dès lors qu’ils s’extraient du registre universitaire, mondain, a ses exigences, des exigences auxquelles ce forum du site Œdipe, où les dés sont pipés, ne répond plus.
(3) « Pourtant, ne la découvrons-nous pas (la psychanalyse) déjà récupérée dans la féodalité des mythes religieux modernes ? Ou bien on voudrait faire de l’analysant une espèce de vrai menteur – le fossoyeur shakespearien fouillant rigolard la tombe – et qui viendrait répéter cette idiotie qu’il est interdit d’interdire ; à la foire des Libérations sans coup férir, la psychanalyse tient boutique désormais, à l’enseigne de la clôture des lois, de la ruine des polices, de la libre amour. Ne considérons pas à la légère ces annonces du gouvernement souriant, construites pour dissimuler la tyrannie industrialiste et propager la docilité dans les bureaucraties contemporaines. Le texte freudien se trouve en fait mobilisé par les techniciens de la manipulation dans une vaste entreprise de désarmement des sujets . … La psychanalyse est appelée à servir le grand œuvre de la soumission moderne, à fournir des thèmes rassurants, à faciliter la diffusion de super-propagandes élaborées au nom des irrésistibles sciences humaines, etc… Cette méprise justifie l’arrêt de quelques pages… » ((Legendre, L’AMOUR DU CENSEUR, Essai sur l’ordre dogmatique, 1974, p.34, chap. II, Articuler une suite ; Cf. également, pour l’histoire de cet ouvrage, l’implication de Lacan dans l’affaire, la préface de la nouvelle édition de 2003
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